
Souveraineté et sécurité : les deux grands enjeux de la Banque de France
À l’occasion de notre événement Lyra Pulse, nous avons eu le plaisir d’accueillir Julien Lasalle, Adjoint au Directeur des Études et de la Surveillance des paiements à la Banque de France. Lors de son intervention, il a partagé une vision claire et approfondie des priorités actuelles de l’institution.
Quels sont les axes prioritaires de la Banque de France en matière de paiements ?

« L’action de la Banque de France s’articule autour de deux piliers majeurs : la sécurité et la souveraineté.
D’un côté, en tant que régulateur des paiements, la Banque de France a une mission essentielle : veiller à la sécurité des transactions. Cela passe par un suivi permanent des différents instruments de paiement. Lorsque certains canaux se révèlent particulièrement exposés à la fraude, des plans d’action sont mis en place.
C’est notamment le cas aujourd’hui pour les paiements à distance par carte, comme les MIT (Merchant Initiated Transactions) et MOTO (Mail Order / Telephone Order). Et aussi pour les chèques et les virements.
Ces actions sont menées en concertation avec les acteurs du marché via l’Observatoire de la sécurité des moyens de paiement (OSMP).
De l’autre côté, la Banque de France co-pilote également avec les équipes de Bercy une stratégie nationale des moyens de paiement à travers le Comité national des moyens de paiement (CNMP). Cette feuille de route à horizon 2030 couvre des enjeux clés : durabilité, accessibilité, innovation technologique et souveraineté. Dans ce cadre, des travaux sont en cours sur la transparence des frais des réseaux de cartes internationaux et leurs évolutions. »
Souveraineté et réseaux cartes : quelles préoccupations ?
« Les réflexions menées par le CNMP ont mis en lumière une opacité importante autour des frais facturés par certains réseaux internationaux de cartes de paiement. Ces frais, bien que facturés aux prestataires de services de paiement, sont inévitablement répercutés sur les commerçants… et les consommateurs.
Le problème ? Ces coûts sont difficiles à identifier, comparer, et comprendre. Certaines marques réseaux, largement connues du public, tirent parti de leur visibilité — voire d’une position dominante — pour augmenter régulièrement leurs tarifs, souvent sans que les utilisateurs finaux n’en aient conscience.
En France, la majorité des cartes sont co-badgées. Elles utilisent à la fois le réseau CB (Cartes Bancaires) et des réseaux internationaux comme Visa ou Mastercard. Au moment du paiement, le choix de la marque conditionne le routage des flux vers le réseau sélectionné. Mais aussi le coût associé pour le commerçant, souvent sans que cela ne change fondamentalement le niveau de service apporté par le réseau.
La Banque de France encourage donc deux axes :
- Informer commerçants et acheteurs sur le choix de marque lors du paiement et ses enjeux.
- Améliorer la transparence des frais facturés par les prestataires de services de paiement. »
Pourquoi les paiements MOTO sont-ils dans le viseur ?
« Certains types de paiements à distance sont nettement plus fraudés que d’autres. C’est le cas des paiements MOTO, qui, bien qu’ils ne représentent que 2,8 % des montants payés par carte, concentrent 8,5 % des fraudes. Le taux de fraude y est cinq fois supérieur à la moyenne. Et près de quatre fois plus élevé que celui du chèque, pourtant considéré comme l’instrument le plus vulnérable à la fraude.
Les MIT, transactions initiées par les commerçants, présentent des risques similaires.
Face à ce constat, l’OSMP a mis en place un plan de sécurisation spécifique. Objectifs :
- Limiter les usages inappropriés du MOTO, notamment pour les transactions en ligne afin de contourner des dispositifs comme l’authentification forte.
- Réserver le MOTO aux canaux non électroniques, comme les commandes par téléphone ou courrier, en les sécurisant autant que possible.
Depuis le 10 juin 2024, une nouvelle règle impose aux émetteurs de rejeter tout paiement MOTO dépassant un seuil de 500 € par commerçant sur 24 heures. Des exceptions existent pour certains secteurs où l’usage du MOTO est indispensable. Mais même dans ces cas, les 10 commerçants les plus touchés par la fraude sont accompagnés dans la mise en place de mesures de prévention. »
Quelles alternatives sont testées ?
» Pour les commandes par téléphone, des solutions sont à l’étude. L’idée : sécuriser la saisie des données de carte et mettre en place une authentification forte, comme sur internet. Cela peut se faire par l’acheteur via la saisie de son numéro de carte sur le clavier de son téléphone ou par interaction avec un serveur vocal sécurisé. Dans les 2 cas, le commerçant n’a pas d’accès à ses données.
Pour les commandes par courrier, les alternatives sont plus complexes. Des solutions comme le Request-to-Pay ou l’initiation de paiement pourraient à terme offrir des options viables. Leur adoption nécessitera cependant du temps. »
En résumé
» La Banque de France agit activement pour garantir la sécurité des paiements, tout en défendant la souveraineté face à certains déséquilibres dans l’écosystème des paiements. Son rôle de coordination, de surveillance et d’innovation est aujourd’hui plus que jamais central. »